La notion de police est héritée de l’Antiquité avec les villes ayant conservé une municipalité, puis, à partir du IXe siècle, dans les villes franches ou libres qui possèdent le droit de s’administrer. C’est ainsi que l’on parle de vie policée, de police des marchés, des métiers, des poids et mesure, des jeux, etc.
Sous l’Ancien Régime, le pouvoir de police est exercé par les conseils municipaux (consuls ou échevins), sauf dans la capitale, où, à partir du XVIIe siècle, elle est retirée à la ville de Paris pour être confiée à un officier du roi, appelé lieutenant de police. Au XIXe siècle, ce régime est étendu aux deux autres ville principales : Lyon et Marseille, qui sont dotées de préfets de police, tandis qu’une direction de la police est créée au ministère de l’Intérieur. Les maires des communes sont toujours légalement investis des fonctions de chef de la police sur leur commune.
Évolution de la définition
Dans son acception moderne, le terme de police revêt une réalité très large, il désigne des tâches multiples, édilitaires, sanitaires, économiques, de la cité au royaume, dont l’expansion est partie liée à celle des villes. Sans se confondre avec les notions de « justice » et de « finance », elle est l’ordre en toute chose dans la cité.
Plus généralement, la police est aussi l’administration des sociétés dites policées. C’est l’emploi qu’en fait Louis Sébastien Mercier dans son Tableau de Paris, en évoquant les lois qui régissent la vie urbaine.
Au Moyen Âge
Bien avant de désigner un corps de fonctionnaires chargé d’interpeller les délinquants, le mot police désigne idéalement l’ordre public et les bonnes mœurs qui doivent régner dans les villes. Dotée de juridictions de premier degré, elle est l’équivalent, dans les campagnes, de la basse justice exercée par les seigneurs de village, ou par leurs procureurs fiscaux.
La police relève des municipalités, échevins ou consuls, et porte sur la propreté, la sûreté, la santé publique des hommes (épidémies, pollution) et des animaux (épizooties, abattage), la voirie, l’approvisionnement en denrées et en eau, les foires et marchés, les prix, les fraudes, l’organisation des métiers, de l’apprentissage, et tout ce qui donne lieu à des règlements locaux et à des contraventions à ces règlements.
Cette police n’a pas à connaître des délits et des crimes qui relèvent alors de la haute justice. La force publique municipale est exercée par des officiers municipaux, qui peuvent éventuellement se faire assister des hommes d’armes de la milice, normalement chargés de faire bénévolement le guet et de défendre la ville en cas d’attaque.
Ainsi, à Paris, en 1254, une ordonnance de Saint Louis évoque l’existence d’un corps des chevaliers du guet, qui comporte quarante sergents à pieds et vingt hommes d’arme à cheval, chargés de surveiller la ville de nuit12. Ce dispositif est complété par une milice bourgeoise, appelée « guet bourgeois »1. Ce dispositif fut adopté par les autres grandes villes, mais se révéla largement insuffisant, le guet bourgeois étant renommé « guet assis » puis « guet dormant » en raison de son inefficacité 1. Une ordonnance de Jean II le Bon, de 1363, recensée dans le Traité de la police (1707) de Nicolas de La Mare, note ainsi que tous essaient d’échapper à leurs obligations3. Prenant acte de son échec, Henri IV supprima ainsi le guet bourgeois en 1559, le remplaçant par une taxe permettant de financer le guet royal1. Son prédécesseur, Henri II, promulgua quant à lui un édit, en 1547, obligeant les passants à porter secours en cas de crime et à faire fermer les portes de la ville pour empêcher le coupable de s’échapper1. L’efficacité de ces mesures est cependant douteuse, les conflits de juridictions (entre la justice du roi, celle de la ville, des abbayes, etc.) rendant la poursuite des malfrats difficile1. Enfin, en 1550, un arrêt du Parlement de Paris, également compétent en matière d’ordre public, impose aux sergents d’être alphabétisés 4.
À partir de la fin du XVIIe siècle, la monarchie absolue progressivement mit en place une « police », chargée de tâches diverses et bien plus larges que ce qu’on entend aujourd’hui par « police ». Cette mise en place fut concrétisée, à Paris, par la création de la charge de lieutenant général de police, par l’édit royal de 1667, qui cumulait des fonctions administratives et judiciaires.
Rôle de la gendarmerie de maréchaussée
En France, la monarchie des XIIe et XIIIe siècles, verra la naissance de la maréchaussée, corps d’hommes d’armes dépendant directement des maréchaux, avec pour première fonction de surveiller l’armée en campagne (police militaire), mais aussi les mercenaires, les déserteurs et les soldats démobilisés, afin d’éviter que ceux-ci ne pillent le pays ou ne fassent violence aux habitants.
Progressivement, elle deviendra la force publique du domaine royal et militaire, et des atteintes à la souveraineté (recherche des crimes royaux, fausse monnaie, dépôts d’armes, levée d’armée privée, conspiration, crimes de guerre), avec une juridiction souveraine siégeant au Palais dans l’île à Paris,
Au XVIe siècle la maréchaussée est investie de la police des chemins et places royales, y compris ceux qui traversent des villes.
Sans que le mot « police » soit utilisée à son propos, la maréchaussée est aussi compétente au XVIe siècle pour la police des « étrangers » (la notion recouvrant tout étranger à la ville, la catégorie de « national » n’existant pas encore) et des personnes sans domicile (vagabonds, nomades, déserteurs), les soldats en garnison, les bandes armées, les canaux, les ports et les mariniers, sans avoir le droit d’intervenir à l’intérieur des campagnes (qui restent de l’autorité des seigneurs hauts justiciers ou des baillis et sénéchaux), ni à l’intérieur des villes. Elle est dotée de juridictions locales avec un juge appelé le Prévôt de maréchaussée ou des maréchaux, qui instruit, juge et condamne les délits commis et flagrants délits dans ses domaines de compétence, sous appel des parlements pour les crimes capitaux et royaux.
Son inefficacité et sa corruption est cependant flagrante. En 1667, le premier président du Parlement de Paris, Guillaume Ier de Lamoignon, déclare ainsi qu’elle est « souvent plus à craindre que les voleurs eux-mêmes » 5. En 1580, le prévôt des maréchaux d’Angers fut ainsi exécuté pour avoir commis « plusieurs assassinats, voleries et concussions 5. »
Temps modernes
Véhicule de la police française en 2007.
La police, conçue comme forme d’administration, se développe de façon importante au XVIIe siècle, en concordance avec le mercantilisme qui préconise une attention soutenue de l’administration vis-à-vis de la gestion du royaume.
Grandes villes
En 1667, un décret est soumis, par Colbert, au roi (Louis XIV) : « La police consiste à assurer le repos du public et des particuliers, à protéger la ville de ce qui peut causer des désordres. » Le poste de lieutenant général de police est créé et la première force au sens moderne du terme est mise sur pied. En 1789 disparaîtra la police monarchique – une garde nationale ayant tenté de réprimer la révolution. Dès 1790 seront créés une cinquantaine de commissariats. En 1796, toutes les villes comptant plus de 5 000 habitants comporteront désormais un commissariat.
Le 24 août 1665, le lieutenant criminel Tardieu et sa femme sont assassinés chez eux par des voleurs. Colbert et Louis XIV réagissent en séparant à Paris la police de la justice et en la plaçant sous l’autorité d’un lieutenant de police (édit de 1667). La police était née.
La Reynie fut le premier lieutenant de police, en fait une sorte de gouverneur de Paris. Sa tâche, colossale, était de lutter contre la pègre et de la surveiller, mais aussi de mettre sur pied une véritable administration centralisée. Ses principales missions revenaient à faire respecter les édits, jusque là lettre morte, réglementer le commerce, les manufactures, organiser des secours en cas d’incendie, assurer l’hygiène des rues, l’approvisionnement et la stabilité des prix. Il lui fallait encore veiller à la censure et à l’information du pouvoir. Il augmenta les effectifs du guet et le nombre de rondes de nuit ; il fit raser la Cour des miracles. Les mendiants, vagabonds et autres « gens sans aveu » firent l’objet d’une politique d’enfermement général (décrite par Foucault dans L’Histoire de la folie) à l’Hôpital général.
La Reynie réussit à se faire obéir par les commissaires au Châtelet, dont il augmenta le nombre afin de les répartir dans tous les quartiers de Paris. Mieux payés, ils devaient rendre compte chaque jour de leurs activités.
Lors de la Régence et de la peste de Marseille (1720), des procédures d’identification sont mises en place, de manière concomittante avec l’armée, qui créé en 1684 un « rôle » (ou registre) des déserteurs 6, perfectionné par une ordonnance de 1716 de Claude Le Blanc, qui siège au Conseil de guerre. Au même moment, vers 1715-1720, un service spécialisé pour les « passeports » est créé au Secrétariat d’Etat aux Affaires étrangères7 (les « passe-ports » sont alors davantage des passe-droits permettant de circuler librement et d’obtenir la protection du seigneur local; quand ils sont utilisés pour restreindre les déplacements internationaux, c’est davantage pour empêcher l’émigration que l’immigration, la population étant alors, sous l’influence du mercantilisme, assimilée à une richesse pour l’Etat).
La police est chargée de contrôler l’accès aux villes, des certificats sanitaires étant utilisés lors de l’épidémie de peste, tandis que la maréchaussée contrôle dans les campagnes les présumés déserteurs. Ces nouvelles méthodes, qui émergent en temps de crise, sont perfectionnées au fil du siècle, les étrangers à la ville faisant l’objet d’une surveillance accrue.
Ainsi, en 1747-1748, le lieutenant général de police créé un « sixième bureau », chargé de la « sûreté publique », qui assure des fonctions de police moderne8. Ce nouveau bureau est chargé du contrôle des hôtels, auberges et chambre d’hôtes, à des fins de surveillance des « étrangers ». Si, dans la plupart du royaume, la surveillance d’étrangers par la police urbaine signifie celle des étrangers à la ville, et non des non-régnicoles 9, à Paris, ainsi qu’à Bordeaux, grand port où réside, de façon permanente, une importante communauté venant de pays du Nord (le Royaume-Uni, les pays de la Hanse…), la surveillance des étrangers se focalise en particulier sur celle des sujets de puissances étrangères, et en particulier de puissances ennemies (le Royaume-Uni lors de la guerre de Succession d’Autriche de 1740 à 1748 et pendant la guerre de Sept Ans de 1756 à 1763) 8. L’inspecteur Buhot, qui dépend de ce « sixième bureau », est à la fois sous les ordres du lieutenant général de police et du secrétaire d’Etat des Affaires étrangères8.
À la fin de l’Ancien Régime, le lieutenant de police occupe un poste très politique. Véritable ministre sans le titre, il lui faut naviguer entre la Cour, le Parlement, mais aussi une opinion publique très frondeuse. En 1753, la moitié du budget de la police parisienne servait à rémunérer les indicateurs [réf. nécessaire]. Le lieutenant de police d’Argenson fit ficher les personnalités. Leur correspondance transitait par un Cabinet noir. Quant au peuple de Paris, il était exaspéré par les contrôles tatillons et la corruption de la police.
La police sous la Révolution et l’Empire
L’ancienne police s’évanouit en 1789. La Lieutenance générale de police de Paris disparut, tandis que la police fut confiée aux municipalités. Dans les plus grandes villes, divisées en sections, la police était confiée à des commissaires élus par les citoyens de chaque section, secondés par la Garde nationale, une milice, placés sous l’autorité de la municipalité. Les compagnies de maréchaussées furent fusionnées pour former la Gendarmerie nationale en 1791, chargée essentiellement de la police des campagnes.
La loi du 22 juillet 1791 sur la police municipale prévoit la constitution d’un « état des habitants », ou recensement municipal annuel. Aboli comme symptôme de la monarchie absolue, le passeport est rétabli, après d’âpres débat, par une loi de 1792 (en septembre, l’Etat établira aussi l’état civil moderne). Avec l’abolition des privilèges et la proclamation de l’égalité dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ce sont tous les citoyens de la République française qui dispose d’un droit à l’état civil et au passeport: son usage, qui était limité à certaines catégories sous l’Ancien régime, devient général.
Après la chute de la royauté en août 1792, le Comité de sûreté générale et les autres polices révolutionnaires, promptes à alimenter la guillotine, se substituent à l’éphémère garde nationale élue. Comité de sûreté générale et Comité de salut public, où siègent Robespierre, Danton, etc., et qui dispose du Bureau central de police, se font la guerre. En 1795, de Terreur en Contre-terreur, la police est totalement désorganisée. La Convention nationale instaure le 25 octobre 1795 le Code des délits et des peines (3 brumaire an IV), qui distingue entre la police administrative, qui prévient les délits, et la police judiciaire, qui recherche les délits que la police administrative n’a pu empêcher de commettre10. Cette distinction entre rôle de prévention et de répression était au cœur des idées de Beccaria, Montesquieu et Voltaire.
Le Directoire crée le ministère de la Police, mais la police dépend en fait des autorités locales. Neuf ministres de la Police se succèdent de 1796 à 1799. Pire, le ministère de la Police (c’est-à-dire Fouché) finança en partie le coup d’État du 18 brumaire 11. La loi du 28 germinal an VI sur la Gendarmerie nationale stipule qu’« une surveillance continue et répressive constitue l’essence de son service »: celle-ci a donc à la fois des fonctions de police administrative (prévention des délits) et de police judiciaire (répression) 10.
Bonaparte, premier Consul, entreprend de constituer une police à sa dévotion, dont il nomme lui-même les commissaires (loi du 17 février 1800), 28 pluviôse an VIII). Il crée en 1800 la Préfecture de police de Paris, héritière de la Lieutenance générale. Fouché, pendant les dix ans de son « règne », s’intéressera presque exclusivement à la police politique, la division « Sûreté générale et police secrète », qui fait un large usage des indicateurs et autres « mouchards ». Un système élaboré de surveillance et de contrôle des déplacements est mis en place. Dès 1795, le passeport est obligatoire pour se déplacer hors de son canton. Dans le cadre des guerres révolutionnaires, ce sont essentiellement les émigrés royalistes et les sujets de puissance ennemie qui sont suivis, quoique désormais, tout étranger (c’est-à-dire, depuis la Révolution, non titulaire de la citoyenneté française), fasse l’objet de ce contrôle. La police de Fouché tâche de garder ceux-là sous son regard, en les obligeant à pointer régulièrement devant des bureaux, pour se faire « viser » son passeport. Le Ministère de la Police générale reçoit des départements frontaliers et des ports les passeports des étrangers, et les recoupent avec ses registres, avant de les renvoyer, d’abord aux maires, puis, ceux-ci manquant de compétences aux yeux du Ministère, aux sous-préfets. Si ce système comporte encore de nombreuses échappatoires, beaucoup ne connaissant pas même les procédures à suivre, « paradoxalement, c’est le développement des moyens de surveillance qui rend possible une plus grande liberté de mouvement12 »: l’Etat est confiant dans ses capacités de pouvoir retrouver tout individu circulant sur le territoire national.
La police sous la Restauration et la monarchie de Juillet
Sous la Restauration, le ministère de la Police générale est supprimé en 1818 ; il sera rétabli par Napoléon III. La Préfecture de police étend alors son action jusqu’en province, tandis que le caractère policier du pouvoir s’accentue encore. Vidocq s’illustre à la Sûreté générale. Après l’assassinat du Duc de Berry, Delavau, surnommé le « préfet des jésuites », et successeur de Jules Anglès, se concentre sur l’espionnage. En 1834, le préfet Gisquet s’illustre par le massacre de la rue Transnonain. Lui succède Delessert, qui reste en poste de 1836 à 1848.
La Préfecture bénéficie à partir de 1830 du concours de la Garde municipale, qui remplace la Gendarmerie de Paris. C’est pourtant à la toute fin de la Restauration qu’est créé le « sergent de ville », au service de la sécurité et de la prévention. Mais sous la monarchie de Juillet, cette nouvelle forme de police se voit détournée de sa fonction première.
La police sous le Second Empire
Avec Napoléon III, la police politique prospère, aux dépens de la police judiciaire, souligne A. Lebigre [réf. nécessaire]. En 1858 l’attentat manqué d’Orsini contre l’Empereur est l’occasion d’une vague de répression. Une loi de sûreté générale est promulguée en 1858, qui permet de punir de prison toute tentative d’opposition et autorise, entre autres, l’arrestation et la déportation sans jugement, d’un individu condamné pour délit politique depuis 1848. Ce projet de loi prévoit enfin des peines d’amendes ou de prisons contre ceux qui se seraient concertés en vue d’agir à l’encontre du gouvernement.
Durant tout le second Empire, les effectifs de la police sont passés de 5000 à 12 000 hommes [réf. nécessaire], mais cela s’explique en partie par la croissance des villes, considère Alain Plessis. La Révolution industrielle, de par les conditions de vie inhumaine du prolétariat, alimente la criminalité et l’esprit de révolte, tandis que la prison moderne fait son apparition, menant à la création d’une classe spécifique de « délinquants » 13. « Ecole du crime » maintes fois dénoncée dès sa création, la prison permet en effet de constituer une classe professionnelle de criminels, entretenant des liens étroits, et issue en majorité des classes populaires. Tandis que maintes « illégalismes » jadis tolérés par la monarchie font l’objet d’une répression accrue13 (la nouvelle réglementation du Code forestier aboutit ainsi en Ariège à la « guerre des demoiselles« , émeutes qui commencent dans les années 1830s et se poursuivent, à l’état larvé, jusqu’en 1872), les « délinquants » permettent aussi au pouvoir d’opérer une surveillance accrue sur ces nouvelles « classes dangereuses » (voir l’ouvrage de Louis Chevalier, Classes laborieuses et classes dangereuses), notamment en les utilisant en tant qu’indics 13.
De 1826 à 1880, la criminalité aurait quadruplé [réf. nécessaire]. Les Renseignements généraux, créés en 1855, travaillent à prendre la température de l’opinion publique, mais aussi à surveiller les personnalités et à traquer les opposants ainsi que les propagateurs du socialisme.
La police sous la Troisième République
La loi de 1884 modifie la répartition des pouvoirs de police entre maires et préfets. À la fin du XIXe siècle, la police est pour la première fois confrontée, avec une partie du mouvement anarchiste prônant la propagande par le fait, au terrorisme.
Pour avoir refusé la grâce de l’anarchiste Auguste Vaillant, le président Sadi Carnot est ainsi poignardé le 24 juin 1894 par l’Italien Sante Geronimo Caserio. Ces actions aboutissent au procès des Trente (août 1894), échec retentissant pour les autorités judiciaires, ainsi qu’au vote des lois scélérates, qui limitent fortement la liberté de la presse et d’expression (saisie du Père Peinard, censure des ouvrages de Jean Grave, etc.). C’est aussi en réaction à cette vague d’attentats que s’ébauche les premiers efforts de coopération policière internationale (Conférence internationale de Rome pour la défense sociale contre les anarchistes de 1898).
L’usage d’agents provocateurs est dénoncé à plusieurs reprises, notamment lors des grèves de Carmaux de 1892-1895, par le député Jaurès en avril 1894:
« C’est ainsi que vous êtes obligés de recruter dans le crime de quoi surveiller le crime, dans la misère de quoi surveiller la misère et dans l’anarchie de quoi surveiller l’anarchie. (Interruptions au centre. — Très bien ! très bien ! à l’extrême gauche.)
Et il arrive inévitablement que ces anarchistes de police, subventionnés par vos fonds, se transforment parfois — comme il s’en est produit de douloureux exemples que la Chambre n’a pas pu oublier — en agents provocateurs14. »
Lors de l’Affaire Dreyfus, Alphonse Bertillon, qui participe aux analyses graphologiques, met en place progressivement l’anthropologie judiciaire, freinant en son nom l’utilisation de la dactyloscopie prônée par d’autres criminologues.
La Belle Époque est aussi celle des Apaches, qui narguent la police à Paris, des bandes organisées qui écument la province[réf. nécessaire]. En 1907, Le Petit Journal faisait du triplement en cinquante ans de la « criminalité juvénile », la UNE de son supplément illustré.
L’arrivée au pouvoir de Georges Clemenceau marque une réforme importante de la police. Il crée en 1907 les premières brigades mobiles de la PJ (police judiciaire), les « brigades du Tigre« . C’est désormais la « guerre » entre la Sûreté générale de Célestin Hennion, autonome depuis 1877, dont dépendent, outre ces brigades, RG et contre-espionnage, et la Préfecture de police dirigée par le préfet Lépine. A nouveau, la police fait usage de taupes, qualifiées par les critiques d’agents provocateurs, notamment lors des grèves de Draveil-Villeneuve-Saint-Georges de 1908. L’équilibre est largement en faveur de la Préfecture de police: en 1934, un rapport au président de la République indique ainsi que son budget s’élève à 560 millions de francs, contre seulement 47 millions pour la Sûreté générale 15.
En 1934-35, des décrets-lois revoient l’organisation réciproque de la Sûreté, rebaptisée « Sûreté nationale », dont dépend les Renseignements généraux, les Brigades du Tigre ainsi que la DST, et de la Préfecture de police. Les pouvoirs de police des préfets sont augmentés au détriment de ceux des maires.
La police sous Vichy
De fait, coexistent en France différentes polices, créées au fur et à mesure des besoins sans coordination entre elles. Afin d’en faire un instrument efficace, Vichy travaillera à unifier et à réorganiser la police par la loi de 1941, qui crée la Police Nationale. En 1941 seront aussi créés les GMR (Groupes mobiles de réserves) destinés à constituer une police de maintien de l’ordre et de police des foules. Le régime de Pétain créé aussi l’École nationale supérieure de la police, à Saint-Cyr-au-Mont-d’Or, et deux écoles d’officiers de GMR.
À partir de 1942, date de l’invasion de zone libre par les Allemands, la Police Nationale a à sa tête René Bousquet, un haut-fonctionnaire qui conclut des accords de collaboration avec le général SS Karl Oberg, chef de la Gestapo et de la police allemande en France, La nouvelle Police Nationale se trouve de ce fait engagée dans des actions contre la Résistance et participe aux arrestations des juifs, notamment à l’occasion de la rafle du Vel’d’Hiv du 16-17 juillet 1942, Bousquet sera remplacé, fin 1943, par Joseph Darnand, un collaborationniste virulent qui se trouvait à la tête de la Milice. Après la Libération, épurées de leurs éléments les plus compromis (7 000 policiers auraient été remerciés 16), les institutions créées par le régime de Vichy ne seront pas remises en cause, la Police Nationale conservant son rôle unificateur, limité par l’autonomie de la Préfecture de Police de Paris, et les GMR, après dissolution en novembre1944, donnant naissance, en intégrant des éléments des Forces Françaises de l’Intérieur, aux Compagnies républicaines de sécurité (CRS).
La police sous la IVe et Ve République
CRS et manifestants pendant la lutte contre l’extension du camp militaire, Larzac janvier 1973.
Sous la IVe République, la police réprime parfois violemment les manifestations, en particulier celle du 14 juillet 1953 (7 morts et une centaine de blessés), organisée par le PCF, la CGT et le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD) de Messali Hadj 17. Après 1953, le PCF se voit d’ailleurs interdit de manifestation, et les relations avec la police sont tendues. Les policiers défient l’interdiction de manifester le 13 mars 1958, défilant alors contre les parlementaires 18. Jules Moch qualifie la manifestation de « plus grande mobilisation des forces de police jamais organisée »19. Le PCF riposte par un meeting au Cirque d’hiver, lui aussi interdit 19. Les heurts avec les forces de l’ordre font une dizaine de blessés 19. En défiant le pouvoir politique, la police participe ainsi au contexte qui, un mois et demi plus tard, porte De Gaulle au pouvoir et fait tomber la IVe République (crise de mai 1958). De nouveaux heurts opposeront police et communistes le 1er juin 1958, l’un des blessés décédant de ses blessures quelques jours plus tard 19.
Sous la Ve République, l’image de la préfecture de police est entachée par le mandat de Maurice Papon, qui la dirige de 1958 à 1966 et écrase dans le sang la manifestation pro-FLN et pacifique du 17 octobre 1961 ainsi que celle de Charonne en 1962. Papon fut inculpé en 1983 pour crimes contre l’humanité commis pendant la Seconde Guerre mondiale, son passé revenant à la surface.
Plus généralement, la préfecture de Police se trouve mêlée à de nombreux scandales, en raison de sa grande autonomie d’action. L’affaire Ben Barka, du nom de l’opposant marocain enlevé en plein Paris en 1965, n’arrange guère son image. La Préfecture se voit fondue avec la Sûreté générale dans la Police nationale par la loi du 9 juillet 196620. En mai 1968, le sang-froid du préfet de police Maurice Grimaud est souvent invoqué pour expliquer le faible nombre des victimes des affrontements entre étudiants et CRS. Vient ensuite l’époque du ministre Raymond Marcellin, honni par la gauche pour ses actions répressives, et qui doit quitter son poste suite à l’affaire des plombiers. En 1986, l’affaire Malik Oussekine sera l’une des « bavure » la plus médiatisée. La création, en 2000, par la gauche plurielle, de la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS), vise à permettre aux citoyens s’estimant victimes de comportements indus de la police d’ouvrir une enquête parallèle à celle effectuée sous l’instruction d’un juge. Les contrôles d’identité parfois injustifiés sont de plus en plus souvent dénoncés, et régulièrement épinglés comme l’une des causes du fossé séparant la police de la population, en particulier après le décès de deux adolescents à Clichy-sous-Bois en 2005, qui agira comme étincelle des émeutes d’octobre-novembre 2005. De même, l’usage de Tasers ou de Flash-balls suscite la controverse.
De nouvelles unités sont mises sur pied, notamment avec la création du Groupe d’intervention de la Gendarmerie nationale (GIGN) à la suite de la prise d’otages des Jeux olympiques de Munich (1972). L’Office Central pour la Répression du Banditisme (OCRB, rebaptisé Office central de lutte contre le crime organisé en 2006), est créé en 1973. La célèbre brigade anti-gang dépend de celui-ci, avec à sa tête le commissaire Broussard qui s’illustre en interpellant Jacques Mesrine, abattu en pleine rue par ses hommes. En 1975, la Brigade mondaine devient la Brigade des stupéfiants et du proxénétisme, la Brigade des stupéfiants ne prenant son autonomie qu’en 1989. Parallèlement, la carrière de Martine Monteil, qui est nommée à la tête de la Brigade criminelle en 1996, illustre une relative féminisation du métier.
Le groupe Recherche, assistance, intervention, dissuasion (RAID) est créé en 1985, et sera coordonné avec le GIGN et la brigade anti-commando au sein de la Force d’intervention de la police nationale créée en 2011. En association avec l’armée et l’Escadron parachutiste d’intervention de la Gendarmerie nationale, le GIGN participera à la répression sanglante lors de la prise d’otages d’Ouvéa, en Nouvelle-Calédonie et entre les deux tours de l’élection présidentielle de 1988. Le réalisateur Mathieu Kassovitz, qui s’était fait connaître par son film La Haine, en fit un récit romancé dans L’Ordre et la Morale. Le GIGN participe à de nombreuses opérations-choc, dont l’intervention lors de la prise d’otages du vol Air France par le GIA, en 1994.
Sur un plan moins spectaculaire, le gouvernement Jospin instaure les contrats locaux de sécurité puis, en 1998, la police de proximité, supprimée par Sarkozy en 2003, tandis que le poids relatif de la police municipale s’accroît nettement. Le « sentiment d’insécurité » devient de plus en plus instrumentalisé par les politiques pour justifier leurs choix.
Par ailleurs, la police coopère de plus en plus avec ses homologues européens, notamment dans le cadre de l’accord de Schengen et de la coopération policière et judiciaire en matière pénale (Traité de Prüm (2005), etc.).
Année |
Effectif des policiers municipaux |
Nombre de communes ayant une police municipale21 |
1984 |
5 641 |
1 748 |
1987 |
8 159 |
2 345 |
1989 |
9 361 |
2 663 |
1993 |
10 977 |
2 849 |
1999 |
13 098 |
3 030 |
200422 |
16 673 |
|
201023 |
18 000 |
3 500 |